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Connaître son cerveau pour perdre du poids



Quand un neurobiologiste en surpoids se plonge dans la littérature scientifique, il découvre la recette du bien maigrir.



Un jour j'en ai eu assez des régimes de bazar. J'en ai eu assez de perdre à chaque fois 10 kilos pour en reprendre 12. J'en ai eu assez de traumatiser mon organisme entre fatigue perpétuelle, crises de goutte récurrentes, constipation chronique et nausées persistantes. Alors, j'ai décidé de renoncer aux méthodes fantaisistes pour me plonger dans la littérature scientifique. Au-delà des 50 kilos qu'il m'a permis de perdre pour retrouver un poids sain, ce voyage m'a enseigné deux choses :

  • Premièrement, les gourous du régime médiatique sont des imposteurs. Leurs approches restrictives (hyper ou hypo n'importe quoi -protéinés, -lipidiques, -glucidiques ; toutes les versions existent) sont dévastatrices. D'une part, elles déchaînent une infaillible armée de défenses méta-boliques et hormonales qui rendent toute perte de poids quasiment impossible sur la durée, ce qui explique des taux d'échecs avoisinant, en moyenne, 95 %. D'autre part, elles font dangereusement exploser le risque pathologique (cancers, diabète, atteintes cardiovasculaires, etc.).

  • Deuxièmement, le seul moyen de maigrir sainement et durablement consiste à mettre en place un déficit énergétique assez restreint pour passer sous le radar des systèmes de contrôle du poids. Ce « déficit aveugle », soutenable sur la durée, agit sans augmenter la sensation de faim ni déclencher de réaction organique défensive.

Cela veut dire que sur la voie du succès la patience n'est pas une option ; elle est une nécessité physiologique absolue. Et si cette idée vous frustre, posez-vous la question : vaut-il mieux réussir en 12 mois ou échouer en trois ?


Les régimes restrictifs sont donc irrévocablement voués à l'échec pour la simple et bonne raison que leurs préconisations se révèlent totalement intenables sur la durée, hormis peut-être pour quelques forcenés à la volonté démoniaque. Et encore, même ceux-là ont du souci à se faire si l'on en croit les résultats d'un grand nombre de travaux ayant montré que la volonté était incontestablement capable de résister aux tentations alimentaires, mais que l'effort alors demandé était d'une intensité telle qu'il s'avérait illusoire d'espérer le maintenir indéfiniment.


Ainsi, par exemple, dans une étude ingénieuse, des adultes furent placés individuellement pendant cinq minutes devant une table contenant un bol de douceurs au chocolat (biscuits, bonbons) et un bol de radis. La tâche consistait à évaluer l'un de ces aliments. La moitié des sujets pouvaient donc manger les chocolats. Les autres n'avaient droit qu'aux radis. À l'issue de l'expérience, et sans lien apparent avec cette dernière, les participants devaient résoudre un problème compliqué, totalement infaisable. Les membres du groupe « chocolat » essayèrent pendant 19 minutes avant de s'avouer vaincus. Ceux du groupe « radis » ne mirent que 8 minutes à renoncer. De façon intéressante, ces sujets « radis » exprimèrent à la fin de l'expérience, lorsqu'ils furent évalués sur la base de tests psychométriques standards, une fatigue mentale très significativement supérieure à celle affichée par leurs homologues « chocolat ». En d'autres termes, le simple fait de devoir résister pendant cinq minutes à l'envie de manger des chocolats avait suffi à taxer massivement les ressources psychiques des participants.


Finalement, au dernier étage de la pyramide se trouve la tranchée des ripostes proprement neurophysiologiques. Là encore, on peut dire que l'organisme ne donne pas dans la demi-mesure. Après un régime restrictif, la réponse de notre cerveau aux stimuli alimentaires se modifie dans un sens profondément orexigène. La transformation s'avère tellement impressionnante que certains chercheurs ont été jusqu'à suggérer que l'affaissement des réserves graisseuses « transformait rapidement le cerveau en une machine “affamée” ». Cet état de voracité psychique repose, en pratique, sur une double modulation des activités neuronales : d'une part, les réseaux attentionnels, d'appétence et de récompense s'activent plus intensément en présence de nourriture ; d'autre part, les circuits comportementaux inhibiteurs (ceux qui nous permettent de résister aux tentations alimentaires de notre environnement) se désengagent. Cela veut dire qu'après avoir maigri, nous devenons plus sensibles aux stimuli alimentaires auxquels nous attribuons une valeur émotionnelle accrue (les chercheurs diraient un potentiel subjectif de récompense). Dans le même temps, tandis qu'augmente cette puissance d'attraction, notre cerveau voit ses capacités de résistance décroître, nous rendant ainsi de moins en moins aptes à juguler nos pulsions consommatoires.


Contrairement à ce qu'a longtemps expliqué la théorie économique, l'homme n'est en rien un être rationnel, opérant toujours de manière méthodique au mieux de ses intérêts objectifs. Dans bien des cas, nos actions sont le fruit de processus mentaux parfaitement irrationnels et automatiques. Le domaine alimentaire n'échappe pas à cette réalité. Si nous mangeons trop, c'est très souvent parce que notre cerveau répond machinalement aux signaux de notre environnement. Ces derniers peuvent concerner les aliments eux-mêmes (disponibilité, variété, etc.) ou l'ambiance générale du repas (nombre de convives, taille des assiettes, musique, etc.).


Même si cela peut paraître curieux, il est manifeste, nous l'avons déjà souligné, que notre organisme n'est pas équipé pour évaluer la charge énergétique du bol alimentaire. Pour s'en sortir, les capteurs de satiété sont contraints d'opérer, pour partie, « au volume ». En d'autres termes, ils ne tiennent nul compte de la densité calorique des aliments et décident de la fin du repas lorsqu'une quantité donnée (à peu près constante) de nourriture a été consommée. Ainsi, par exemple, si vous allez régulièrement au fast-food, il y a des chances pour que vous ne mangiez pas plus que chez vous. Cependant, comme chaque bouchée apporte un surcroît de calories, vous grossissez irrévocablement.


Au plan expérimental, l'illustration la plus frappante de notre relative incapacité à mesurer l'ampleur de nos repas provient sans doute d'une expérience réalisée par l'équipe de Brian Wansink. Des sujets naïfs de poids sain ou excessif se virent servir un bol de soupe dans un restaurant universitaire. Chez la moitié des participants, ce bol était relié à un tuyau invisible qui réinjectait de la soupe au fur et à mesure du repas, à raison, en moyenne, de 60 centilitres pour 100 centilitres consommés. Les sujets contrôles mangèrent 251 centilitres de soupe contre 435 centilitres pour leurs alter ego du groupe expérimental, soit un accroissement de 73 % correspondant à un surplus énergétique de 113 calories. Fait particulièrement parlant, le sentiment de satiété, la perception d'être « plein », l'impression d'avoir trop mangé (ou pas), et l'estimation du volume de nourriture ingéré se révélèrent identiques dans les deux groupes.


Bien sûr, dans toutes ces études, les participants ne se rendent absolument pas compte qu'ils mangent davantage lorsque leurs assiettes sont plus copieusement garnies. Quand on leur signale cette incongruité, 5 % l'admettent, 20 % la contestent et 75 % lui trouvent, a posteriori, une explication rationnelle (ex : « j'avais très faim »). Encore une fois, le point vraiment remarquable, c'est que ce genre de distorsion n'affecte pas le système perceptif de satiété. Ainsi, et cette donnée est loin d'être anodine pour qui veut perdre du poids, des portions plus restreintes conduisent à manger moins sans changer la sensation de faim ni accroître notablement la prise alimentaire au cours des repas suivants.


Le foyer est sans conteste le lieu de tous les dangers pour qui est au régime. En effet, dans l'intimité de nos demeures, sollicitations et tentations sont aussi permanentes que vigoureuses. Un morceau de quiche par-ci, un biscuit par-là, un chocolat en passant, deux ou trois chips l'air de rien et c'est facilement plusieurs dizaines de calories gratuites que nous absorbons chaque jour sans nous en rendre compte. Quelques mesures simples permettent de combattre avec succès ce genre d'infâme traquenard que nous nous tendons à nous-même.


Premièrement, cachez tout ce qui de près ou de loin a un rapport avec l'alimentation. L'amorçage, aussi appelé « priming », est en effet, sans conteste, l'un des semeurs de kilos les plus puissants. Techniquement, ce phénomène psychique s'appuie sur un processus d'association on ne peut plus basique : quand le cerveau est confronté de manière directe (nourriture, odeurs, etc.) ou indirecte (images de nourriture, couverts, etc.) à des stimuli alimentaires, il recrute les réseaux neuronaux de consommation typiquement associés à ces stimuli. En d'autres termes, tout ce qui touche à la nourriture active le désir de manger et, ce faisant, accroît fortement les probabilités de passage à l'acte. La parade est alors assez simple : garder soigneusement hors de vue tout ce qui peut être associé à l'idée de manger, et évitez de mettre les pieds dans votre cuisine lorsque ce n'est pas absolument nécessaire. En particulier (mais la liste est loin d'être exhaustive), rangez la nourriture dans des placards, utilisez des contenants opaques, enfermez les aliments odorants dans des boîtes hermétiques, ne laissez rien traîner sur la table ou le plan de travail, ne restez pas dans votre cuisine pour lire le journal ou lorsque vos enfants goûtent, etc.


Dans une expérience amusante, destinée à illustrer la pertinence de ces conseils, Brian Wansink et ses collègues ont offert à des secrétaires un pot de bonbons au chocolat. Selon les cas, le pot était soit opaque, soit transparent. Au bout de la journée les pauvres secrétaires du second groupe avaient mangé presque deux fois plus de chocolats que leurs collègues du premier groupe, soit une différence nette d'à peu près 80 Calories, ou si vous préférez un peu plus de 2,5 kilos sur une année de travail.


Depuis un siècle, la taille de notre vaisselle a évolué conformément au mouvement, précédemment évoqué, d'augmentation des portions alimentaires. En un peu plus de 100 ans le diamètre moyen des assiettes plates est ainsi passé de 24 à 30 centimètres, soit un accroissement de 25 %. Or, plus le contenant est grand et plus les gens mangent. Nombre d'études le démontrent aujourd'hui clairement. Dans l'une d'entre elles, des spectateurs naïfs se sont vus offrir, avant une séance de cinéma, des pop-corn dans un récipient de taille moyenne (120 g) ou grande (240 g). Deux résultats furent observés. D'une part, la plupart des gens ne finissaient pas leur paquet ; d'autre part, les membres du groupe « grande taille » ingurgitaient presque 50 % de produit en plus (86 g contre 59 g). Si vous remplacez les boîtes de pop-corn par de petits (114 bonbons), moyens (228 bonbons) ou grands (342 bonbons) paquets de M&M's, rien ne change. La consommation se révèle minimale pour le petit paquet (63 bonbons), intermédiaire pour le moyen (103 bonbons) et maximale pour le grand (122 bonbons).


L'exemple des orientations alimentaires est particulièrement intéressant. Il indique que quand vous aurez passé trois mois à prendre systématiquement des légumes plutôt que des frites vous finirez, sans même y penser, par privilégier les légumes et ignorer les frites ; à condition bien sûr que ce « remplacement » ne conduise pas à un état de carence susceptible d'entraîner une réaction brutale des défenses métaboliques ; en d'autres termes, cela ne marchera que si les besoins organiques sont couverts et que le déficit calorique induit est assez faible pour être indifférent. De nombreuses recherches ont montré que plus les gens évitent, sur la durée, les produits gras et/ou riches en sucres ajoutés, et plus leur appétence pour ces types alimentaires diminue. Au niveau cérébral, ce changement se traduit notamment par une modification de la réponse des circuits de récompense qui augmentent progressivement leur intérêt pour les aliments « habituels » tout en diminuant leur sensibilité aux denrées désertées. Cette altération s'accompagne d'une modification de la réponse salivaire qui tend à devenir moins importante en présence de produits gras fortement obésigènes. Tout cela indique, au bout du compte, que l'être humain n'a pas seulement tendance à manger ce qu'il aime. Avec la répétition, il finit aussi par aimer ce qu'il mange et plus généralement ce qu'il se rappelle avoir mangé.


Ce résultat est fondamental (pour ne pas dire fondamentalissime !), car il souligne que les goûts alimentaires précocement acquis sont en partie modifiables. Plus vous mangerez « sainement », plus vous trouverez que c'est « bon », et moins ce sera une contrainte. J'en suis, croyez-le bien, l'exemple vivant, moi qui frisais l'apoplexie à la seule idée de devoir approcher des brocolis, que je mange maintenant avec délectation.


Extraits du livre de Michel Desmurget, L'anti-régime.

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